Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier…

Singapour : Une stratégie végétale
3028
post-template-default,single,single-post,postid-3028,single-format-standard,stockholm-core-1.1,select-child-theme-ver-5.1.8.1601593428,select-theme-ver-5.1.8,ajax_fade,page_not_loaded,side_area_over_content,wpb-js-composer js-comp-ver-7.0,vc_responsive

Singapour : Une stratégie végétale

Singapour : Une stratégie végétale

Aujourd’hui, on vous emmène de l’autre côté de la planète, dans la cité-état de Singapour située à la pointe de la péninsule de Malaisie. Pour faire simple, Singapour c’est un peu comme New-York mais à l’équateur : Une ville connectée, ultramoderne et gigantesque avec une multitude de gratte-ciels, une densité de population de plus de 7 800 habitants au km2, une population multi-ethnique chinoise, malaise et indienne vivant en harmonie avec l’anglais pour langue commune…

Si Singapour était un poème,
Ce serait un poème en plusieurs langues,
Nourris d’apports multiples,
Peuplé de mots migrants
Venus par bateaux
De toutes les langues du monde.

Marien Guillé

Fougères "nid d'oiseau" (Asplenium nidus) se développant sur des arbres au centre ville de Singapour. Singapour, 2012

Mais ce qui nous a le plus marqué en tant que paysagistes et botanistes urbains, c’est la profusion et l’exubérance de plantes et d’arbres dans toute la ville ! En cette période particulièrement morose, nous vous proposons de partir à la découverte de ses parcs botaniques à la fois traditionnels et futuristes et de sa forêt primaire préservée au centre de l’ile principale.

 

Nous vous expliquerons comment une ville normalement vouée au béton, au verre et à l’acier a su préserver et développer des espaces végétalisés en alliant stratégie d’urbanisation et politique sociale et économique.

Tradition britannique : Le jardin botanique historique

 

Situé non loin de l’artère commerçante très fréquentée d’Orchard Road, le jardin botanique actuel fut créé en 1859 par la société d’agri-horticulture de Singapour alors sous domination anglaise. Précédemment, le britannique Sir Stamford Raffles – fondateur de la ville de Singapour – avait déjà établi dès 1822 un jardin expérimental et botanique pour étudier des espèces végétales d’intérêt agronomique. Vous vous souvenez ? Nous vous avions déjà parlé de cet explorateur et naturaliste dans un précédent article (Flower Power) !

 

Au départ, aménagé comme jardin d’agrément à l’anglaise, il est vite devenu Conservatoire Botanique et Jardin Économique Colonial pour l’évaluation d’espèces comme l’hévéa (arbre qui produit le caoutchouc) avant de devenir une référence mondiale pour la conservation et l’hybridation des orchidées. Couvrant aujourd’hui 64 hectares, c’est l’un des rares jardins botaniques à être classé comme Site du Patrimoine Mondial par l’UNESCO.

Palmier à tronc rouge (Cyrtostachys renda). Singapore Botanic Gardens. Singapour, 2011

Quand on y entre, le regard est attiré par sa plante emblèmatique : l’immanquable palmier à tronc rouge, Cyrtostachis renda, espèce endémique de la région, avec ses palmes dressées et ses gaines foliaires d’un rouge vif presque irréel. Son nom d’espèce latin « renda » lui vient d’ailleurs de son nom local en malaisien qui veut aussi dire « dentelle ».

 

Mais l’attraction principale du jardin botanique de Singapour, vous vous en doutez maintenant, est le « National Orchid Garden » qui a ouvert en 1995. Les amoureux des orchidées passeront des heures, voire des jours à observer les plus de 1 000 espèces botaniques tropicales et les 2 000 hybrides d’orchidées.

 

Où que l’on regarde, on se trouve plongé dans une multitude de fleurs, de formes et de couleurs comme jamais on peut en voir en un seul lieu !

Paphiopedilum Maudiae Red. National Orchid Garden. Singapour, 2011
Renanthera coccinea. National Orchid Garden. Singapour, 2011
Papilionanda Mimi Palmer. National Orchid Garden. Singapour, 2011
Epidendrum cinnabarinum. National Orchid Garden. Singapour, 2011
Petite orchidée dont le nom nous échappe... si vous avez une idée, n'hésitez pas à nous contacter ! National Orchid Garden. Singapour, 2011
Brassavola sp. National Orchid Garden. Singapour, 2011
Orchidées hybrides ?

Il faut savoir que la plupart des orchidées tropicales de nos maisons et appartements sont des hybrides, c’est-à-dire des croisements issus d’espèces sauvages – dites « botaniques » – qui les rendent plus résistantes aux conditions spartiates de nos intérieurs mais aussi bien plus florifères. Les orchidées papillons (Phalaenopsis sp.), les Dendrobiums et autres Vandas que l’on trouve dans le commerce sont toutes, à de rares exceptions, des hybrides.

 

Et ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les hybrides d’orchidées peuvent se faire entre plusieurs espèces appartenant à un même genre (Phalaenopsis bellina x Phalaenopsis modesta = Phalaenopsis ‘Borneo Belle’) mais aussi entre des orchidées appartenant à des genres différents (genre Vanda x genre Ascocentrum = Acocenda).

Et en parlant d’orchidées hybrides, nous ne pouvions passer à côté de LA star des hybrides de Singapour : Miss Joaquim !

Elle fut « créée » en 1893 par Agnès Joaquim, une orchidophile d’origine arménienne habitant à Singapour grâce au croisement des deux espèces botaniques Papilionanthe teres et Papilionanthe hookeriana. A cette époque, on ne savait pas qui était le « papa » et qui était la « maman » de ce nouvel hybride. Les études ADN récentes ont montré que P. teres était le parent femelle (qui a porté les graines) et que P. hookeriana était le parent mâle qui a fourni le pollen pour la fécondation. Cette orchidée est une plante de grande taille, pouvant atteindre jusqu’à 2 mètres de hauteur avec de longues tiges verticales, des feuilles cylindriques et de nombreuses racines aériennes. Les tépales sont identiques à ceux des parents : rose pâle et ovales. Le labelle est rose soutenu et finement tacheté.

 

En 1981, cet hybride a été choisi comme fleur nationale de Singapour par le ministre de la culture pour représenter non seulement l’unicité de la ville mais aussi très justement sa culture « hybride » et multi-culturelle !
Orchidée (Papilionanthe Miss Joaquim) élue fleur nationale de Singapour en 1981. National Orchid Garden. Singapour, 2011
Orchidée (Papilionanthe Miss Joaquim) élue fleur nationale de Singapour en 1981. National Orchid Garden. Singapour, 2011

En route vers le futur !

 

Depuis le jardin traditionnel du centre-ville, en allant plus au sud sur la baie de Singapour, nous trouvons les nouveaux jardins « Gardens by the bay ». Ce qui est frappe le visiteur en arrivant dans ce jardin ce sont les 18 super-arbres, sortes de mégastructures en béton et en métal à la forme d’arbres stylisés et envahies par les plantes grimpantes ainsi que les deux gigantesques dômes de verre et d’acier. L’état singapourien a dépensé sans compter pour faire de cet endroit de 101 hectares un jardin éco-responsable à la pointe de la technologie. Il a ouvert ses portes en 2012.

Gardens by the Bay. Singapour, 2012
Les 2 dômes du « Conservatory Complex » et les super-arbres. Gardens by the Bay. Singapour, 2012

Les 2 dômes du « Conservatory Complex » – 2 serres géantes – d’un volume de plus de 130 piscines olympiques accueillent plus de 250 000 espèces végétales rares et en voie d’extinction sur 2 hectares.

 

Le premier, le « Flower Dome » reproduit les écosystèmes méditerranéens et subtropicaux secs dans une atmosphère rafraichie et plutôt sèche par rapport au climat chaud et très humide de Singapour. Quelle surprise d’y découvrir des oliviers, des palmiers de la côte d’azur, des cyprès de Florence et des platanes mis en scène dans un décor de village de Provence ! Bref, l’exotisme version singapourienne… On a presque frais en s’y promenant…

 

Le second, le « Cloud Forest Dome » reproduit les écosystèmes de forêt pluviale tropicale de montagne avec sa montagne artificielle de 35 mètres recouverte de végétation exubérante avec évidemment une cascade de même dimension ! On y trouve des espèces d’orchidées de montagne, des plantes carnivores du genre Nepenthes

Flower Dome

Araucarias, palmiers & Co. Gardens by the Bay. Singapour, 2012
Serre méditerranéenne. Gardens by the Bay. Singapour, 2012
Singapore Botanic Gardens. Singapour, 2012

Cloud Forest Dome

Cloud Forest Dome. Gardens by the Bay. Singapour, 2012
Cloud Forest Dome. Gardens by the Bay. Singapour, 2012

Une telle débauche de « climatisation » à l’intérieur des deux dômes pourrait paraitre choquante du point de vue énergétique et écologique mais c’est sans compter sur l’ingéniosité des singapouriens ! Puisqu’en effet, on trouve au cœur de ce complexe, une centrale à biomasse qui utilise les déchets végétaux du lieu pour produire chaleur, énergie et engrais verts. La chaleur qui s’échappe est alors capturée pour générer un liquide qui absorbe l’humidité, et sert à déshumidifier l’air. Celui-ci est alors refroidi pour la climatisation des deux dômes.

De plus, l’air évacué est acheminé vers les 18 super-arbres dont les ramifications aériennes servent aussi de système d’évaporation qui permet de réguler la température du « Conservatory Complex »… et pour ne rien laisser au hasard, les super-arbres sont recouverts de cellules photovoltaïques permettant tout l’éclairage du site !

 

Inspirant, non ?

Back to the trees !

 

Et si vous en avez assez de la débauche technologique (bien qu’au service de la préservation de la biodiversité mondiale), allez au centre de l’île principale retrouver le visage de la Singapour d’antan… bref, dans la forêt originelle, au « Central Catchment Nature Reserve » près du réservoir McRitchie.

 

Singapour est avec Rio de Janeiro une des seules villes au monde à héberger en son centre les restes d’une forêt équatoriale primaire (Selon la FAO, 2015, une forêt primaire est une forêt naturellement régénérée d’espèces indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible et où les processus écologiques ne sont pas sensiblement perturbés). A seulement 12 km du centre-ville, il s’agit du plus grand espace vert de Singapour, que l’on découvre à travers des sentiers parfaitement balisés au son presque assourdissant de la vie de la jungle.

 

On y rencontre des animaux comme des écureuils, des serpents, des varans de toutes tailles et aussi des macaques chapardeurs (planquez vos lunettes de soleil et tout ce qui dépasse !). En marchant quelques heures, on emprunte la TreeTopWalk (en sens unique !), un pont suspendu de 250 mètres au-dessus de la canopée à 25 m de haut. Comme perdu au milieu de l’océan de verdure, on peut apercevoir au loin quelques gratte-ciels rappelant que l’on est au cœur de la ville. Cet espace préservé a non seulement une fonction écologique mais surtout une fonction pratique depuis le 19ème siècle : il sert de bassin versant au 4 principaux réservoirs d’eau douce qui rendent la ville-état autonome pour cette denrée indispensable vis-à-vis de ses voisins malaisiens et indonésiens.

Central Catchment Nature Reserve

TripTopWalk

MacRitchie Reservoir. Singapour, 2012
MacRitchie Reservoir. Singapour, 2012
MacRitchie Reservoir. Singapour, 2012

Vous l’avez vu ???

Serpent arboricole (Ahaetulla prasina) de couleur verte... comme l'indique son nom en langue thaïlandaise (งูเขียวหัวจิ้งจก /ngu khieow hua jingjok / serpent vert à tête de lézard) ;o)

Le Green Plan !

 

Singapour a compris depuis très longtemps que l’écologie placée au centre des politiques urbaines est un moteur économique et social. Dès 1968, la politique d’urbanisation a complètement intégré une dimension de verdissement. Des arbres sont plantés le long des routes au plus proches des véhicules, les arches bétonnées sont colonisées par les plantes grimpantes et les immeubles des plus luxueux aux plus modestes – lorsque leur architecture ne s’inspire pas de celles de végétaux – sont végétalisés sur les balcons, dans les cours et allées.

Des arbres dans la ville. Singapour, 2012
Des arbres dans la ville... encore. Singapour, 2012
Marina Bay Sands. Singapour, 2012

Artscience Museum

ArtScience Museum. Marina Bay Sands. Singapour, 2012
Le musée Artscience se déploie dans la baie telle la fleur du lotus. Marina Bay Sands. Singapour, 2012

Theatres on the Bay

Theatres on the Bay dont les coupoles prennent la forme du durian (Durio zibethinus). Singapour, 2011
Auvent d'une galerie soutenue par des troncs. Singapour, 2012

Quel spectacle, dès sa sortie de l’aéroport, de voir la totalité de l’autoroute recouverte par une canopée fermée de flamboyants (Delonix regia) en fleurs et des bougainvillées (Bougainvillea spectabilis) multicolores dépasser des glissières de sécurité ! Cette végétalisation à tout prix n’a pas été vraiment mue par une motivation écologique au départ mais plus par un principe utilitariste : les sociologues et politiciens de l’époque se sont aperçus que le verdissement améliore la productivité des habitants et leur procure du bien-être.

 

Le principal reproche que l’on peut faire à cette végétalisation active est qu’elle ne fait pas suffisamment appel aux espèces locales. On a surtout privilégié la qualité esthétique des plantes comme les bougainvillées originaires d’Amérique du Sud, les flamboyants ou les arbres du voyageur (Ravenala madagascariensis) originaires de Madagascar… ce dernier est même devenu une des plantes emblématiques de l’île et le symbole du célèbre hôtel de luxe « Raffles » !

Arbre du voyageur (Ravenala madagascariensis). Raffles Singapore Hotel, 2012
Le végétal jusque dans le mobilier. Raffles Singapore Hotel, 2012

La nécessité de construire pour une population en croissance constante, a contraint l’état singapourien à coloniser les pelouses et beaucoup d’espaces libres, mettant en péril la volonté de l’état de connecter les habitants à la nature pour leur bien-être. Dans les années 90, Singapour a décidé de créer des « Park Connectors » et « Green Corridors », avenues vertes de plusieurs centaines de mètres de large reliant les parcs et espaces verts de Singapour entre eux afin de temporiser l’urbanisation galopante. Ces espaces procurent aux habitants des promenades pédestres et cyclistes qui font le tour de la ville tout en hébergeant une faune et une flore diversifiées. Bien qu’on puisse penser que cette nature domestiquée et encadrée s’éloigne de plus en plus de notre idée de nature « vraie », Singapour reste une des rares villes modernes à avoir mis en œuvre depuis longtemps cette politique de végétalisation qui inspireront, espérons-le, de nombreuses villes dans le monde.

Pour aller plus loin

 

Les sites officiels des « Jardins » de Singapour

Gardens By the Bay

Singapore Botanic Gardens

Central Catchment Nature Reserve

No Comments

Post a Comment