Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier…

Exotisme & bords de routes
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Exotisme & bords de routes

Exotisme & bords de routes

Voyage, voyage !

 

Aujourd’hui nous allons parler des plantes voyageuses et en particulier des plantes colonisatrices, voire très très envahissantes… Même si dans l’esprit de beaucoup, les plantes ont un mode de vie plutôt casanier, ancrées dans leur substrat, elles arrivent pourtant à voyager ; en confiant leurs graines au vent qui dissémine les akènes de pissenlit, à l’eau des océans qui transporte les noix de coco vers de nouvelles plages ou bien aux animaux friands des fruits et des graines, qui transportent leurs semences loin de la plante-mère (Let’s move)…

Et l’animal le plus efficace toutes catégories confondues de la dissémination des plantes tout autour de la planète est… mais si, vous vous en doutez : l’Homme !

 

De manière intentionnelle et depuis bien longtemps l’Homme a fait voyager les plantes pour ses besoins, notamment agricoles. Les tomates, les pommes de terre, le maïs et même la fraise moderne ont été ramenés des Amériques. Les agrumes, les concombres et les céréales comme le blé sont originaires d’Asie. Mais l’Homme, outre son besoin de se nourrir est aussi un esthète et, par ce fait, il a également tenté d’adapter des espèces végétales ornementales loin de leurs zones d’origine. Ainsi, pour avoir ce petit côté exotique à côté de chez soi, le séquoia géant est arrivé tout droit d’Amérique du nord dans la seconde partie des années 1850. Souvent planté en solitaire, on répertorie pas loin de 10 000 individus à travers la France, et notamment dans les monts du Beaujolais où nombre de Domaines ont choisi de l’implanter au milieu d’essences plus traditionnelles. Les mimosas (Acacia dealbata), eux, ont débarqué d’Australie, sans parler de la multitude de fleurs venues des 4 coins du monde pour embellir les jardins et plates-bandes.

 

Mais certaines de ces plantes importées se sont échappées dans la nature et se sont naturalisées… et c’est à partir de ce moment très précis, là où l’équilibre fut rompu, que les qualificatifs pas très sympathiques sont apparus. C’est le cas des freesias fleurissant au printemps en région méditerranéenne qui sont en fait originaires d’Afrique du Sud, des buddleias souvent rencontrés dans les friches urbaines (Buddleia davidii) qui viennent de Chine et de la renouée du Japon (Fallopia japonica).

Ces espèces sont maintenant considérées comme invasives. On compte en France, jusqu’à 330 espèces végétales dites invasives, dont une majorité d’espèces aquatiques. Pour être considérée comme invasive, une espèce de plantes doit posséder les caractères suivants : une reproduction efficace et une grande adaptabilité à son milieu. Il existe une espèce que vous connaissez sûrement ou que vous avez déjà vu sans pouvoir la nommer et que vous apercevez souvent dans vos déplacements, il suffit de prendre sa voiture : l’ailante glanduleux (Ailanthus altissima).

Ailante adulte (Rhône, juin 2020)
Ailante sur le fil, entre deux mondes (Rhône, mai 2020)

Envahissant Ailante

 

L’ailante glanduleux, « Tree of Heaven » en anglais (arbre du paradis) est originaire de Chine. Pourtant ses ancêtres étaient présents en Asie, en Europe et en Amérique du Nord à l’ère tertiaire, puis ont disparu lors des dernières glaciations et n’ont seulement subsisté qu’en Asie orientale. L’ailante glanduleux est un bel arbre à croissance rapide, pouvant atteindre 25 mètres, mais de dépassant pas 50 ans. Son écorce est lisse et ses feuilles à folioles atteignent 60 cm de long. Il appartient à la famille des Simaroubacées, c’est un voisin du frêne. Contrairement à de nombreuses espèces de plantes à fleurs, les sexes sont séparés : il y a des ailante mâles et des ailantes femelles. Les ailantes femelles produisent des fruits secs dispersés par le vent comme ceux des érables : les samares.

L’ailante a fait son « retour » en Europe au milieu du 18ème siècle à la faveur d’un jésuite botaniste en voyage en Chine, Chéron d’Incarville, qui envoya des graines de cet arbre en France à Bernard de Jussieu. Dans le même temps d’autres graines sont envoyées à la Société Royale d’Horticulture à Londres et dans la foulée jusqu’à Philadelphie.

L’ailante a d’abord été planté en Europe et aux Etats-Unis comme arbre d’ornement dans les parcs et les jardins. Ses facultés d’adaptation à la pollution des villes, ont fait de lui le champion des arbres de rues, dans lesquelles on le plantait en nombreuses rangées. On l’a aussi utilisé pour élever le bombyx de l’ailante qui produit de la soie. Et dans sa région d’origine on l’utilise aussi pour ses vertus médicinales afin de traiter la dysenterie et les palpitations.

Ailante sur la terre...

Mais comment l’ailante a-t-il donc été classé envahissant, voire « nuisible », alors qu’on lui prêtait tant de qualités !?

 

Ce sont justement ses « qualités » qui ont fait de l’ailante son caractère envahissant.

Tout d’abord, sa reproduction : même si les sexes sont séparés, sa reproduction sexuée est très efficace, un seul arbre femelle produit chaque année un million de graines qui sont dispersées par les vents… Par ailleurs, l’ailante se reproduit aussi par reproduction végétative grâce à la différenciation de drageons (pousses issues de bourgeons situés au niveau de la racine de certains végétaux pouvant devenir autonomes et ainsi former un nouvel individu). Pour peu qu’un arbre se trouve cassé ou décapité par le vent ou l’Homme, sa croissance racinaire s’en trouve dopée et des nouvelles racines émergent des pousses qui donneront autant d’arbres. Des fragments de racines peuvent aussi assurer sa multiplication végétative.

Vous l’aurez compris, c’est pour ces raisons qu’il est très difficile de se débarrasser d’un arbre même en le coupant à la base. L’ailante pousse dans tous les types de sol et pour peu qu’il ait un minimum de soleil il s’épanouira partout. Il peut résister à des températures négatives extrêmes (-35°C) et pour faire bonne mesure, il émet des substances dans le sol (ailanthones) qui inhibent la germination et la pousse de plantes alentours ! Bref, c’est un champion de la colonisation !

Sa puissance colonisatrice fait de lui un compétiteur hors pair par rapport aux plantes indigènes qui se font peu à peu déloger.

 

Ses racines surpuissantes sapent fortement les fondations des immeubles contre lesquels il pousse ainsi que les revêtements des routes et autoroutes… Mais d’ailleurs, comment se fait-il qu’on le trouve autant en ville et au bord des routes, au milieu du bitume et du béton ?

Même s’il résiste au froid il est tout de même originaire des zones subtropicales et préfère la douce chaleur des villes et les endroits plutôt ensoleillés plutôt que le couvert forestier plus frais. Quand aux abords des routes, et bien l’ailante a inventé depuis bien longtemps blablacar ! Les routes sont les moyens les plus efficaces pour les envahissantes pour se propager. Emportées collées aux voitures et surtout dans les sillons des pneus, les graines de l’ailante font du stop et parcourent des dizaines de kilomètres grâce à l’Homme qui favorise – encore –  sa dissémination. Et le changement climatique global lui permet maintenant de coloniser de nouveaux espaces toujours plus au nord de l’Europe.

...comme au ciel ! Vous l'avez trouvé ? dans une jardinière au 6ème étage d'un immeuble (Rhône, mai 2020)

Le coupable accusateur ?

 

Une fois qu’elles ont échappé à notre contrôle, on qualifie ces espèces de « nuisibles » et on les rend responsable de la perte de biodiversité de nos habitats. La garance voyageuse dont on tirait un pigment rouge pour les textiles est maintenant une mauvaise herbe difficile à éliminer en Provence. Même le topinambour qui donne de délicieux tubercules au potager est considéré comme invasif dans la mesure où il colonise les abords des cours d’eau.

Au cours des âges géologiques, les changement climatiques (glaciations et réchauffements) et la dérive des continents ont favorisé ou empêché la dissémination des espèces végétales et par la même favorisé leur l’expansion ou leur disparition. Les plantes à fleurs n’ont-elles pas, en 130 millions d’années, remplacé la plupart des Gymnospermes et les fougères dans de nombreux habitats, grâce à leurs stratégies reproductives ? Ce que l’évolution a mis des millions d’années à accomplir, l’Homme le fait en quelques siècles… Il est très difficile de mesurer l’impact à long terme des voyages que nous avons fait faire aux plantes.

Posons-nous d’abord la question de notre responsabilité quant à l’importation de plantes, à l’implantation intentionnelle de nouvelles espèces végétales et résistons à la tentation de ramener des souvenirs botaniques (avec leurs agents pathogènes potentiels) lors de nos voyages. Et là, nous ne vous parlons même pas des espèces animales…

Quels moyens de contrôle de l’aillante ?

 

Avant toute chose, l’écorce et les feuilles de l’ailante étant susceptibles de provoquer des irritations allergiques, il est préférable de les manipuler avec des gants.

Les débris végétaux doivent être brûlés. Les composter ou les laisser à l’abandon sur le sol ne ferait que favoriser la germination de ses graines tout autant que sa reproduction végétative.

 

La meilleure des stratégies de lutte consiste en un suivi régulier de sa parcelle… et quelque fois de celles de ses voisins ! La bienveillance est toujours la bienvenue. Nous entendons par là que laisser se développer l’ailante dans une haie séparatrice ou au niveau de la clôture délimitante n’est pas judicieux. Nous pouvons malheureusement observer cette situation dans certains jardins ouvriers de Lyon où l’Ailante n’en finit plus de se semer et de se ressemer, spécifiquement dans des zones frontières ou au sein de parties communes.

 

La lutte préventive, ou tout du moins au plus près de la dissémination, est de loin la meilleure des techniques : il reste assez facile d’éliminer les germinations de l’année ainsi que les jeunes individus après une période de pluie, à partir de la fin du mois de juin, en prenant soin d’éliminer l’ensemble du système racinaire. Dans cet objectif, une méthode de lutte intéressante contre les espèces végétales invasives en général consiste à arracher dans un premier temps les plantes localisées dans les zones les moins infestées afin de terminer par les zones les plus densément peuplées. L’idée est de permettre à l’écosystème, à terme, de retrouver une stabilité pérenne en laissant notamment la possibilité aux populations végétales autochtones de se développer et de ralentir l’installation de l’ailante [Méthode de Bradley, Fuller & Barde (1985)].

 

Les autres techniques disponibles (coupe, débroussaillage, cerclage, brûlage, destruction par broutage, etc.) restent peu efficaces.

Ailante en fleur (Rhône, juin 2020)

Pour aller plus loin

 

  • Des arrêtés interministériels définissent la liste des espèces exotiques envahissantes interdites d’introduction dans le milieu naturel, de détention, de transport, de colportage, d’utilisation, d’échange, de mise en vente ou d’achat : Arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l’introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain

 

  • Pour des éléments complémentaires et connaître la démarche à suivre, rapprochez-vous de votre Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) ; ou de votre Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP)

 

2 Comments
  • Marie-Paule PFINGSTAG YASSIN

    15 juin 2020at11 h 12 min Répondre

    Merci pour cet article ! et bravo pour votre blog
    Quid de la Renouée du japon, qui me semble un problème pire que l’ailante….

    • Thomas et Arnaud

      22 juin 2020at10 h 00 min Répondre

      Bonjour Marie-Paule et merci pour ce gentil message !

      Ah, la Renouée du Japon (Fallopia japonica)… Des études ont montré que des plantes provenant d’Iles Britanniques, d’Europe et des États-Unis appartenaient toutes à un seul et même clone. Il faut dire qu’en dehors du Japon, la reproduction sexuée n’est pas utilisée par les plantes et donc, qu’ailleurs dans le monde, les Renouées se reproduisent de façon végétative au moyen de leurs rhizomes. Des chercheurs s’accordent à dire qu’il s’agit fort probablement du plus grand clone de la planète !
      Mais outre son rhizome, la Renouée du Japon possède d’autres cordes à son arc afin de coloniser le milieu dans lequel elle est installée :
      – Elle libère des molécules toxiques pour les racines des plantes voisines qui pourraient lui faire concurrence,
      – En Europe, elle a multiplié son nombre de chromosomes par 2 par rapport aux plantes actuellement présentes au Japon. On parle de polyploïdie et les avantages de cette évolution se retrouvent notamment au niveau de la diversité génétique augmentée, de l’hybridation facilité, de la taille « géante » des plantes, etc.

      En résumé, il s’agit bel et bien d’une espèce invasive et qui se propage le long des cours d’eau ! Et quels sont les moyens de lutte disponibles ? Plusieurs ont été mis en œuvre, sans grand résultat. Il faut dire que lorsque l’on parle de « plante invasive », les moyens devant être déployés doivent l’être à une échelle importante et comme pour de nombreux sujets, la solution utilisera sans doute la combinaison de plusieurs stratégies, dont la fauche par des chèvres de talus, l’utilisation de bâches… et s’armer de patience !

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