Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier…

Une fleur a changé le monde !
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Une fleur a changé le monde !

Une fleur a changé le monde !

Aujourd’hui, nous avons choisi de modifier le format de nos articles afin de vous proposer l’interview d’une spécialiste des plantes à fleurs. Les Angiospermes, vous vous souvenez ?

 

Nous avons rencontré, Aurélie Vialette, professeure agrégée de Sciences de la Vie, de la Terre et de l’Univers. Ça en jette, non ? Elle, vous dira « je suis prof de bio, quoi ! ». Aujourd’hui, elle est détachée à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon en tant qu’Agrégée Préparatrice. C’est-à-dire qu’une partie de son temps est consacrée à l’enseignement (en licence et master) et l’autre, à la recherche dans le laboratoire de Reproduction et Développement des Plantes.

À la fin de cette entrevue vous saurez comment, à partir de l’étude de l’évolution de leurs gènes, les plantes à fleurs sont apparues et ont envahi la planète. Et vous verrez même à quoi pouvaient ressembler les premières fleurs !

Bonjour Aurélie et merci d’accorder du temps à 2 jardiniers un peu suspendus ! Puisque vous parlez « d’apparition » des plantes à fleurs, cela veut dire qu’elles n’ont pas toujours existé ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus et nous expliquer comment se fait-il qu’elles soient si nombreuses sur terre aujourd’hui ?

En effet, même si c’est un peu difficile à imaginer, les plantes n’ont pas toujours eu des fleurs. D’ailleurs des plantes actuelles nous le rappelle : les mousses par exemple ! Les Angiospermes sont apparues il y a à peu près 135 millions d’année et le nombre de leurs espèces est aujourd’hui estimé à environ 300 000 voire 350 000. Au regard des fougères et des mousses qui sont tout au plus quelques dizaines de milliers, elles représentent près de 90% des espèces de plantes terrestres de notre planète. 

Et quant au fait de savoir pourquoi elles sont aussi nombreuses, on peut penser qu’une des raisons de leur succès est qu’elles ont « simplement » optimisé leur façon de se reproduire. Elles sont devenues des championnes de la reproduction sexuée ! Avec l’apparition de la fleur, elles ont  pu protéger leurs organes reproducteurs : les étamines qui portent le pollen et les carpelles qui contiennent les ovules. Avec le fruit, qui dérive de l’ovaire, elles ont aussi pu protéger leurs graines. La fleur et le fruit ont aussi permis la mise au point de stratégies très efficaces de dissémination de leur pollen et de leurs graines que ce soit via des animaux ou par le vent. Ce qui est fou, c’est qu’elles sont capables d’utiliser à la fois leur environnement et d’autres êtres vivants pour se reproduire. On assiste parfois à des cas de coévolution entre les plantes et leurs pollinisateurs (par exemple, les figuiers et les guêpes qui les pollinisent). Grâce à cela et à d’autres innovations morphologiques, elles ont su s’adapter à tous les milieux de vie : la terre ferme, l’eau douce, l’eau de mer, les déserts, les forêts… et les ont colonisés rapidement !

Connaissons-nous la plante à l’origine des plantes à fleurs ? Du coup, peut-on parler d’un ancêtre commun ? Et avons-nous une idée de ce à quoi il ressemblait ?

Oui, l’hypothèse dominante est qu’il y a bien un ancêtre commun à toutes les plantes à fleurs. Pour rechercher les liens de parentés entre les êtres vivants et comprendre leur évolution, on fait de la phylogénie (ndlr : des sortes d’arbres généalogiques entre les espèces). Pour les plantes à fleurs on peut faire de la phylogénie avec les caractères morphologiques mais aussi avec les données moléculaires – phylogénie moléculaire – c’est à dire comparer les gènes des différentes espèces et tracer les liens de parentés entre les plantes.

Pour savoir à quoi ressemblait l’ancêtre commun, on peut aussi regarder les premières plantes qui ont divergé/évolué de l’ancêtre commun, celles les plus proches de la base, en fait.

En 2017 Hervé Sauquet et ses collaborateurs ont utilisé la phylogénie des plantes à fleurs et ont regardé puis comparé les caractères morphologiques de nombreuses plantes actuelles. Grâce à des modèles informatiques, ils ont proposé la représentation d’une fleur ancestrale avec des « tépales » (organes stériles comme les sépales et pétales actuels) disposée en cercles (on appelle ça des verticilles). A l’intérieur des verticilles de tépales, on trouve des cercles d’étamines qui produisent du pollen et encore à l’intérieur, plusieurs carpelles séparés, non fusionnés dans un pistil. Mais pour confirmer cette hypothèse, le mieux serait que l’on puisse observer des fossiles…

"Fleur ancestrale", d'après Hervé Sauquet et al. 2017

Justement, connaît-on des fossiles de plantes à fleurs comme nous connaissons des fossiles d’animaux ?

Ce que l’on trouve surtout, c’est du pollen fossile qui se conserve très bien. Trouver des fossiles d’organes floraux, c’est très difficile : les fragiles pétales, étamines, etc. n’ont rien à voir avec des os et les débats scientifiques autour des rares fossiles identifiés sont nombreux. Il y a quand même quelques exemples de fossiles de fleur comme Archaefructus qui présente des carpelles et des étamines et qui a environ 125 millions d’années.

 

Récemment, il y a eu une étude très controversée, d’une équipe scientifique chinoise qui aurait identifié des fossiles de fleurs datant de 180 millions d’années, mais d’autres paléobontanistes pensent que les fossiles décrits peuvent être interprétés différemment (c’est-à-dire pas comme des structures de type plantes à fleurs). Les pollens de plantes à fleurs sont présents dans les registres fossiles plutôt à partir de 130-140 millions d’années ! Du coup, il n’y a rien – ni pollen, ni fleur fossilisés – dans l’intervalle compris entre 130-140 et 180 millions d’années. Mais attention, l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ! Certaines horloges moléculaires déduites de la phylogénie moléculaire remontent à 180-200 millions d’années pour l’origine des Angiospermes, ce qui pourrait « coller » avec l’étude chinoise. Il faut donc continuer nos recherches : sans nouvelles preuves fossiles, le débat ne pourra être tranché.

Et cette question n’est pas récente ! Darwin se posait déjà la question : comment un groupe de plantes qui a eu un tel succès évolutif, a-t-il divergé aussi rapidement et laissé si peu de traces fossiles ?

« L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ! »

Michel Jouvet

Fossile d'Archaefructus liaoningensis. Crédit photo Shizhao

Y a-t-il des endroits plus intéressants à « creuser » pour trouver des fossiles de plantes à fleurs ?

On pense que les premières plantes à fleurs sont apparues au nord du supercontinent Gondwana qui doit correspondre actuellement à certaines zones d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud. Il y a des terrains plus propices à la fossilisation que d’autres mais encore une fois, une fleur a des tissus fragiles et très fins qui se prêtent difficilement à la fossilisation, sauf les pollens évidemment…

Y a-t-il des collaborations entre paléontologues et biologistes pour répondre à ces questions ?

Les approches sont très complémentaires. Les paléontologues ont la force et la compétence pour découvrir et interpréter les fossiles et les biologistes peuvent ensuite tester leurs hypothèses en observant dans les génomes des espèces actuelles si des gènes associés à la structure des fleurs sont présents ou absents. Ce que l’on peut faire aussi, par exemple, c’est comparer les gènes des Angiospermes avec ceux du groupe frère le plus proche des plantes à fleurs : les Gymnospermes (qui comprennent notamment les conifères, cycas, ginkgo, etc.). Et malgré tout, ces groupes ont des points communs : outre les grandes fonctions métaboliques qui sont conservées, les Gymnospermes ont aussi du pollen et des ovules qui donnent des graines mais pas de fleurs… Les Gymnospermes ne comptent actuellement guère plus de 1 000 espèces. Mais oui, pour répondre à la question de l’origine des plantes à fleurs, on aura besoin des approches biologiques et paléontologiques pour connaître précisément la réponse.

Pourrions-nous recréer des plantes ancestrales aujourd’hui disparues comme dans « Jurassic Park » ?

On ne peut pas ressusciter les plantes mais on peut ressusciter des gènes ! Comme on compare les plantes à fleurs actuelles pour en déduire les caractères morphologiques anciens, on compare les gènes et on en déduit à quoi ressemblaient les gènes anciens et donc les protéines anciennes. On imagine plutôt bien « la plante ancestrale » mais de là à la faire pousser, c’est une autre histoire… et au regard des 135 millions d’années, ce serait plutôt « Crétacé Park » !

Pourquoi y a-t-il si peu d’espèces de Gymnospermes actuellement ?

Les forêts au temps des dinosaures étaient composées majoritairement de Gymnospermes et de fougères arborescentes qui se faisaient d’ailleurs allègrement brouter, puis progressivement les Angiospermes ont peu à peu piqué la place des copines ! La divergence entre Gymnospermes et Angiospermes se situe il y a 300 millions d’années et la radiation des Gymnospermes actuelles date de 200-220 millions d’années. On peut apporter une piste de réponse au déclin des Gymnospermes via les données botaniques qui laissent à penser que les Gymnospermes sont moins performantes au niveau reproduction sexuée. Ça ne veut pas dire qu’elles ne le sont pas : il y a encore beaucoup de grandes forêts de conifères à l’heure actuelle ! Elles ont été peu à peu remplacées par les Angiospermes dans de nombreux écosystèmes.

 

Une autre piste pour expliquer les « sauts » et adaptations au cours de l’évolution est la duplication de génomes. Il s’agit du doublement du nombre de gènes dans un organisme en une seule génération. Quand on a plus de gènes à disposition, on peut faire pleins de nouvelles choses sur le plan évolutif et mieux s’adapter à son environnement. On a démontré qu’à la base des plantes à fleurs il y a eu duplication du génome et donc une plus grande adaptabilité. Et de même, à la base du groupe des Eudicotylédones – le plus grand ensemble de plantes à fleurs – chez les Angiospermes, il y a eu encore des duplications de génome qui ont donné de nouvelles innovations évolutives. Ces duplications de génome ont pu donner des clés du côté génétique à la mise en place de structures nouvelles qui pourraient expliquer le succès évolutif des Angiospermes. L’évolution graduelle et progressive comme l’imaginait Darwin n’est pas la norme et l’évolution procède souvent par sauts !

Arbre phylogénétique des plantes à graines (Gymnospermes et Angiospermes). Crédit Aurélie Vialette

Vous nous avez parlé de plantes qui ont divergé tôt « de la base » des Angiospermes . Quelles sont-elles et comment sont leurs fleurs ?

Peut-on parler de « fossiles vivants » ?

Les premières plantes à avoir divergé de la base des Angiospermes sont les Amborellales, il y a 130 millions d’années. La seule espèce actuelle de ce groupe est Amborella trichopoda (dont le génome a été séquencé), native de Nouvelle Calédonie. Elle a des fleurs à tépales blancs et verdâtres. Le groupe qui a divergé ensuite est celui des Nymphéales (les nénuphars). Ces espèces présentes depuis longtemps ne sont pourtant pas identiques à l’ancêtre commun ! Tout simplement parce qu’elles ont continué à évoluer. Par exemple, Amborella trichopoda est une plante dioïque (des individus distincts portent des fleurs femelles et d’autres des fleurs mâles) alors qu’on pense que la première plante à fleurs portait les deux sexes (fleur hermaphrodite) sur chaque individu. Vous allez me dire : « comment peut-on le savoir ? ». Eh bien chez les fleurs femelles d’Amborella trichopoda on retrouve un « staminode » (étamine stérile), reliquat d’une étamine fertile ancestrale. Le plus probable est que l’ancêtre d’Amborella trichopoda avait des fleurs avec des étamines et des carpelles et qu’avec le temps, les sexes se sont séparés. On part souvent du postulat qu’au cours de l’évolution, il est plus facile de perdre un caractère que de refaire un caractère à l’identique dans un autre groupe

Mais non Amborella trichopoda n’est pas un fossile vivant. Comme les Nymphéacées, elles ont pas mal évolué depuis 130 millions d’années. L’ancêtre commun est en fait une notion assez compliquée ; même quand on est un·e spécialiste de l’évolution : c’est plutôt un nœud dans un arbre phylogénétique et pas vraiment une espèce qu’on peut réellement voir ou appréhender. C’est une sorte d’espèce virtuelle qui partage les caractères communs à tous ses descendants à qui justement elle les a transmis.

Fleur mâle d'Amborella trichopoda, Ordre des Amborellales. Crédit photo Aurélie Vialette
Fleur femelle d'Amborella trichopoda, Ordre des Amborellales. Crédit photo Sangtae Kim
Fleur de nénuphar (Nymphaea pygmaea), Ordre des Nymphéales

Bon, on aurait aussi très bien pu vous poser cette question en introduction : « À quoi ça sert de connaitre les origines des plantes à fleurs ? »

D’un point de vue purement scientifique il est primordial de comprendre l’origine des plantes à fleurs car c’est une configuration évolutive particulière et cette étude nous aide à comprendre les mécanismes de l’évolution en général. Il est très stimulant de comprendre ce qu’il s’est passé au départ pour appréhender le fonctionnement des plantes actuelles.

Il ne faut pas non plus oublier que ce sont les plantes à fleurs qui sont la base de notre alimentation. Comprendre leur évolution nous aide à comprendre celles qui nous nourrissent tous les jours. Sans les plantes à fleurs on ne serait pas là ! Et la connaissance n’est jamais une perte et tout ce qu’on apprend nous enrichit forcément pour l’avenir, notamment du côté des obtenteurs. Il faut être tous conscients que les connaissances acquises nous permettront à un moment ou un autre de « rebondir » sur des obstacles même si on n’arrive pas à prédire à l’instant « t » l’impact des recherches. Financer une recherche qui a priori n’a pas encore « d’utilité immédiate » est aussi important que de financer l’hôpital qui ne « sert à rien » pour le jour où on en aura vraiment besoin… ça ne vous rappelle pas quelque chose ?

 

Continuons la recherche et continuons à nous émerveiller des connaissances que les scientifiques nous apportent ;o)

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