Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier…

I’m your Venus, I’m your fire. At your desire !
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I’m your Venus, I’m your fire. At your desire !

I’m your Venus, I’m your fire. At your desire !

Ça y est, nous pouvons sortir ! Mais nous sommes toujours cantonnés dans un périmètre de 100 km autour de chez nous :oI

Nous avons mis en marche notre matière grise et avons tracé au compas, sur les cartes routières, notre périmètre de liberté pour partir dans une nouvelle aventure botanique. Direction plein Est, vers le Haut-Bugey, afin de découvrir les plantes et fleurs de moyenne montagne. Après plus d’une heure de route, nous voici au pied d’un monument dédié aux maquisards de la seconde guerre mondiale. Au milieu d’une prairie, nous nous enfonçons dans la forêt…

Notre rencontre avec Vénus… et ses sabots

 

Au détour d’un chemin forestier, nous avons rencontré une orchidée extrêmement rare : on l’appelle Sabot de Vénus, Soulier de la Vierge ou encore Pantoufle Notre-Dame.

Il appartient à un genre d’orchidées comprenant 56 espèces dans l’hémisphère nord, dont 3 sont présentes en Europe, et 1 seule en France : Cypripedium calceolus. Son nom scientifique – toujours et encore en latin – est d’ailleurs presque un pléonasme : Cypri-, de Vénus/Aphrodite (déesse née à Chypre), –pedium : sabot et calceolus, « petite chaussure ».

Cypripedium calceolus (sabot de Vénus). Haut-Bugey, Mai 2020.

Il mesure jusqu’à 60 cm de haut : c’est un géant dans la famille des orchidées d’Europe, avec de belles feuilles vertes plissées. Il arbore une fleur unique, parfois deux, mais jamais davantage, contrairement aux autres espèces dont les fleurs se présentent en épis, en grappes ou en corymbes.

Son originalité provient, vous vous en doutez, de sa fleur et surtout de la forme de son labelle – vous vous souvenez : le pétale inférieur spécifique des orchidées – jaune vif et ouvert sur le dessus, lui donnant l’aspect d’un petit sabot entouré de pétales bordeaux plus fins et torsadés … Ce labelle coloré attire les insectes du genre Andrena, ou abeille des sables. Mais ce charmeur n’a pas qu’un tour dans son sac quand il s’agit de séduction ! En dehors de ses couleurs incroyables, il attire les abeilles pollinisatrices au moyen de molécules ressemblant à s’y méprendre à leurs phéromones sexuelles ainsi que par des signaux qualifiés de « malhonnêtes » qui font croire à la présence de nectar. Les abeilles n’ayant pas d’autre choix que d’être attirées par cette fleur fatale, se trouvent « piégées » à l’intérieur de ce gros pétale. Après de lourds efforts, elles se frottent aux étamines en prenant la clé des champs et, toutes badigeonnées de pollen, s’en vont visiter un autre Sabot de Vénus un peu plus loin, le pollinise, et ainsi de suite…

Planche botanique chinée en Angleterre, a very long time ago !

Cette orchidée qui fleurit dès la fin du mois de mai jusqu’en juillet ne se rencontre plus désormais que dans les Alpes et la chaîne du Jura. Elle a pratiquement disparu des autres régions où elle était originellement présente (Pyrénées, Grandes Causses, Alsace-Lorraine et Haute-Marne) du fait de la destruction de son habitat, de la cueillette et des vaines tentatives de transplantation des pieds par les particuliers.

Cette orchidée est strictement et légalement protégée dans toute la France (Liste Rouge UICN de la Flore menacée de France ; Statut Vulnérable). Les associations comme les Conservatoires d’Espaces Naturels (CEN) protègent les « stations » de ces espèces rares et font en sorte d’informer les promeneurs de leur vulnérabilité et surtout de la nécessité de leur préservation.

Cypripedium calceolus (sabot de Vénus). Haut-Bugey, Mai 2020.

Si vous la rencontrez, résistez à l’envie de la prélever pour l’acclimater dans votre jardin, elle y mourrait à coup sûr ! Le résultat sera malheureusement identique s’il vous venait à l’idée de récupérer, l’année suivante, les nombreuses graines contenues dans les gousses : elles ne germeront pas !

 

Quelle en est l’explication ?

 

C’est un biologiste français, Noël Bernard, qui, vers 1900, après avoir regardé d’un peu plus près une autre espèce d’orchidée (une Néottie) a observé la présence de filaments très fins à l’intérieur de la plante. Ces filaments n’étaient ni plus ni moins qu’un champignon. Après isolation, il a déterminé qu’il appartenait au genre « Rhizoctonia » et que ce dernier, lorsqu’il était mis en présence de graines d’orchidée leur permettait de germer. Cette association permet à l’orchidée, via le champignon, d’obtenir les matières indispensables à sa vie en provenance du sol tout en explorant de plus vastes volumes racinaires. C’est ce que nous appelons une symbiose, et l’organe mixte champignon‐racine est appelé lui, une mycorhize.

En poursuivant ses recherches, il constata que l’espèce de champignon n’était pas la même pour l’ensemble des orchidées. À l’époque, il identifia 3 espèces distinctes.

 

Plus tard, même si d’autres biologistes ont réussi à franchir le cap de la germination sans ce champignon en modifiant le milieu de culture dans lequel les graines avaient été déposées, il s’est avéré que les phases de croissance de la plante suivantes ne pouvaient avoir lieu sans ces champignons !

Aujourd’hui, les horticulteurs spécialisés sont capables de multiplier un nombre croissant d’orchidées avec certains hybrides pouvant surpasser en beauté, en taille tout autant qu’en originalité les espèces « naturelles ».

Pour notre part, nous préférons justement la subtilité des espèces sauvages et ce, quelle que soit l’espèce végétale envisagée ;o)

Ceci dit, les orchidées sont loin d’être les seules plantes dont l’alimentation dépend d’une association avec un champignon. Mais au cours de ces dernières décennies, la microscopie associée à des techniques basées sur l’étude de l’ADN ont montré que les champignons impliqués n’appartenaient finalement pas au genre Rhizoctonia mais essentiellement aux Sebacinales, aux Tulasnellaceae et aux Ceratobasidiaceae… Bon, ça ne vous avance peut-être pas beaucoup de savoir et de retenir tout ça, mais cela montre que la recherche scientifique est indispensable dans la compréhension de la vie et de ses mécanismes !

Des chercheurs du Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive de Montpellier sont parvenus à démontrer que chez les orchidées sauvages, la symbiose avait pris un chemin original en ayant développé des réseaux de mycorhizes – ou ponts mycorhiziens – reliant des végétaux entre eux. Les membres de ces réseaux s’échangeant des matières élaborées par certains d’entre eux, tandis que le champignon s’en nourrit et puise dans le sol d’autres éléments, notamment azotés.

Comme quoi, nous avons tous besoin les uns des autres et nous le savons tous maintenant : les orchidées ne sont pas juste jolies à regarder !

Pour en revenir au sabot de Vénus, s’il vous charme au point de le désirer, vous pouvez vous adresser à des pépiniéristes spécialistes qui ont réussi, grâce à la culture in vitro et beaucoup de patience, à multiplier et acclimater cette espèce et beaucoup d’autres orchidées sauvages de France pour les jardins.

Forêt du Haut-Bugey, Mai 2020.

Et si la rencontre de cette fleur a illuminée notre journée, nous avons rencontré une autre orchidée forestière, la listère à feuilles ovales (Neottia ovata), plus discrète avec ses petites fleurs vertes et ses deux feuilles regroupées en coupe à la base de sa tige, mais d’une élégance folle.

Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir, avant la botanique, comment nos arrières-arrières-arrières-(…)-grands-parents appelaient les plantes ? Souvent le nom était limité à la région, plus ou moins grande, où l’on trouvait la plante, et se basait sur une description sommaire de cette dernière. Pour la listère à feuilles ovales, nos aïeux l’appelaient tout simplement « double feuille » !

Neottia ovata (listère à feuilles ovales). Haut-Bugey, Mai 2020.

De retour sur la prairie sèche bordant la forêt, plusieurs autres orchidées ont attiré notre attention : l’orchis militaire (Orchis militaris) à labelle ponctué de rose, la céphalanthère à longue feuilles (Cephalantera longifolia) aux fleurs d’un blanc immaculé et l’orchis brûlé (Neotinea ustulata) avec ses petits pois rouges…

Orchis militaris (orchis militaire). Haut-Bugey, Mai 2020.
Cephalanthera longifolia (Céphalanthère à longues feuilles). Haut-Bugey, Mai 2020.
Neotinea ustulata (orchis brûlé). Haut-Bugey, Mai 2020.

En contrebas de la forêt, nous atteignons un lac de combe, typique du Jura, au milieu d’une zone humide. Assis dans l’herbe, notre pique-nique ne pouvait trouver meilleur endroit, car l’heure du déjeuner approchait.

Lac du Haut-Bugey, Mai 2020.

Les pieds dans l’eau

 

Rassasiés, nous cheminons autour du lac en rencontrant d’autres orchidées typiques de zones humides : l’orchis de mai (Dactylorhiza majalis) aux feuilles tachetées de noir, l’orchis incarnat (Dactylorhiza incarnata) aux feuilles fines et dressées et la plus rare orchis de Traunsteiner (Dactylorhiza traunsteineri). Des boutons d’or et des narcisses sauvages fleurissent çà et là sur notre sentier.

Dactylorhiza majalis (orchis de mai). Haut-Bugey, Mai 2020.
Dactylorhiza incarnata (orchis incarnat). Haut-Bugey, Mai 2020.
Dactylorhiza traunsteineri (orchis de Traunsteiner). Haut-Bugey, Mai 2020.

Le sol devient spongieux et nous avons les pieds mouillés ! Nous arrivons dans une tourbière située au nord du lac. Les tourbières sont des écosystèmes particuliers des zones humides. Ce sont de véritables « puits de carbone » : en raison de la présence d’eau, les matières organiques végétales ont du mal à se décomposer, et comme le principal élément nutritif d’un végétal c’est le carbone, il se retrouve ainsi piégé pour très longtemps. Les sols des tourbières sont donc très pauvres en éléments minéraux et organiques assimilables par les plantes, vue que la matière organique se décompose très lentement ; la flore est donc aussi toute particulière.

Tourbière. Haut-Bugey, Mai 2020.

Dans cette zone humide, classée Espace Naturel Sensible, la plupart des plantes poussent les pieds dans l’eau, comme les roseaux, les carex et d’autre curiosités végétales…

On y trouve des plantes carnivores comme le rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia) qui piège les insectes grâce à ses feuilles recouvertes de poils gluants d’un joli rouge. Une fois l’insecte englué, le rossolis replie ses feuilles-pièges et commence à digérer l’insecte, s’en nourrit et pallie ainsi à la pauvreté du sol. Le rossolis est aussi une espèce protégée, du fait de la disparition des zones humides. Cette plante carnivore est très discrète, elle ne mesure que quelques centimètres et pousse souvent associée à des mousses qui permettent de conserver une humidité permanente autour de son pied. Pour la repérer, il faut vraiment avoir la tête au ras du sol et s’armer de patience…

Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia). Haut-Bugey, Mai 2020.

En une seule journée, nous sommes passés par la forêt, les prairies sèches d’altitudes, les prairies humides et l’écosystème si particulier des tourbières. Vous l’avez remarqué, à quelques centaines de mètres d’intervalle, dans une même zone, on rencontre une grande diversité d’orchidées sauvages et de plantes.

 

Alors, quand on parle de biodiversité, pas la peine d’aller très loin ! Explorer chacun des endroits qui vous entourent et ouvrez l’œil ;o)

Pour aller plus loin

 

  • Section des amateurs de jardins alpins : Mise au point sur la culture et la biologie des Orchidées. Mathieu. Publications de la Société Linnéenne de Lyon. 1970.

 

 

  • Orchidées et champignons : une porte vers les réseaux mycorhiziens. Benoît DODELIN & Marc-André SELOSSE. Bull. mycol. bot. Dauphiné-Savoie, 202, p. 75-83. 2011.

 

  • A la rencontre des orchidées sauvages de Rhône-Alpes. SFO Rhône-Alpes, Dominique Bonardi, Gilles Scappaticci & Armand Fayard. Biotope Éditions. 31 janvier 2013
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